Portfolio: Pauline Curnier Jardin Le Salon d’Alone par Cédric Schönwald
pour la revue Art21 #32 – 2012 (French)
Dans un n°32 d’art 21 soulignant plus que jamais l’exigence que doit imposer l’être ensemble, ce portfolio en montre lui l’ambiguïté. Car dans les fables en particulier les personnages solitaires sont hantés par les interlocuteurs de leur solitude. Or, Le Salon d’Alone est une fable qui voit des objets faire banquette dans le salon d’une maîtresse solitaire dont l’opéra (pop/rock) qu’est aussi Le Salon d’Alone ne nous livrera que les pas. Comme les souris dansent, les objets, une fois rendus à leur liberté d’action, se rappellent à leur communauté en exaltant, par l’importance qu’ils se donnent, la solitude de leur maîtresse nommée Alone. Et la communauté discrète de l’ordre des objets s’avère aussi peu douée pour l’échange que leurs trop humains d’usagers. Leur salon, à les entendre, devient bien vite une foire d’empoigne. Le boniment de chacun se donne en un monologue promouvant la singularité de ses attributs. Ainsi, le tour métaphysique du livret de cet opéra s’impose vite pour ce qu’il est, un épineux questionnement d’ordre éthique : la présentation de soi, nécessaire préambule à toute ambition de constituer un groupe en société, n’est-elle pas aussi d’abord le symptôme de sociétés constituées comme des agrégats de solitudes ? Le Salon d’Alone nous laisserait presque dans le suspens de cette incertitude liminaire. N’était la romance qu’il se ménage en point d’orgue entre Commode, le masque antique des révolutions et la Bûche-flûte qui s’ennuie de tous ses trous et de sa poussière accumulée…
Pauline Curnier Jardin fait montre dans son œuvre encore naissante d’une éminente perversion qui consiste à revisiter des thématiques gigantesques d’ordre anthropologique au moyen d’une esthétique pseudo-naïve. Ainsi, l’évidence féministe qui l’anime ne s’exprime-t-elle jamais mieux que lorsqu’elle se met en retrait avec une discrète candeur pour donner à entendre (et à voir !) un homme de sa famille éructer sa version de l’Histoire de France comme l’histoire — après Jeanne d’Arc — de la chaîne ininterrompue des fameuses (reines, pour la plupart) femmes « putes » ; ou lorsqu’elle outre à son tour la virilité crasse en une farce où elle se grime avec ses comparses du groupe Les Vraoums pour chanter le genre.
Ainsi, son dernier film, Grotta Profunda, les humeurs du gouffre, conte-t-il et confond-il de façon festive et suggestive le bric-à-brac des grands récits des origines, origines de la vie, de l’humanité, de l’art et… des solitudes qui font les mondes ! Dès lors, il n’est pas surprenant qu’elle s’en remette à ses propres services, pour se définir, dans Par elle-même à la troisième du singulier comme celle qui « à travers ses films, ses tours de narratologie, ses dessins, ses textes, sa musique en chambre, ses performances-films, ses opéras d’objets et autre global peep-show de musées ethnographiques […] construit un univers grouillant, baroque et amoureux qu’elle définit comme « un rapiècement narratif pour conscience altérée » ».
Cédric Schônwald pour la revue Art21 #32 – 2012
Infos annexes:
-La version du livret d’opéra que nous vous présentons a été mise en page spécialement pour art 21 par Pauline Curnier Jardin en collaboration avec la graphiste Marie Proyart. http://marieproyart.com
-Le disque vinyle de l’opéra Le Salon d’Alone (texte Pauline Curnier Jardin, musique de Fred Bigot et Catriona Shaw) est en vente sur commande auprès de l’artiste, curnierjardin@gmail.com
Actualités de Pauline Curnier Jardin:
-Exposition personnelle à la Galerie de Noisy-le-Sec du 25 février au 21 avril 2012.
-Participation à The Global Contemporary, Art Worlds after 1989 au ZKM, Karlsruhe, du 17 octobre 2011 au 5 février 2012.
-Exposition personnelle à la PSM gallery de Berlin du 15 décembre 2012 au 2 février 2013.
-Prochains concerts des Vraoums le 12 février 2012 au festival Vrak à Bruxelles, le 18 et 19 avril 2012 au Théâtre d’Orléans, le 15 mai 2012 au Théatre de l’Union à Limoges…go back to Le Salon d’Alone